Sept économistes à travers le monde se prononcent sur les prévisions d'augmentation du roulement du personnel et offrent des stratégies pour stimuler l'engagement des employés.
Points clés à retenir
- Les facteurs économiques et culturels font qu'il est peu probable que le changement d'emploi augmentera en 2025, mais de nombreux employés se sentent insatisfaits et désintéressés.
- Alors que les employeurs peuvent éprouver une crainte en ce qui concerne le roulement du personnel, une bonne dose de démissions et de changements d'emplois s'avère positive pour l'économie et le marché de l'emploi. Dans les régions que nous avons étudiées, un roulement du personnel élevé est un signe encourageant.
- Les stratégies pour conserver la motivation et la satisfaction des travailleurs incluent les occasions de formation et de perfectionnement, la flexibilité de faire du télétravail et du travail hybride ainsi que la transparence en matière d'augmentations salariales et d'avancement de carrière.
Au début de 2025, une prédiction provocatrice a fait la une : ce sera l'année de la « démission par vengeance ». L'insatisfaction des employés, qui couvait alors que les travailleurs priorisaient leur poste, éclatera finalement. Les travailleurs exprimeront leurs frustrations accumulées en démissionnant et en claquant la porte derrière eux.
Pour découvrir la vérité derrière ces manchettes, nous avons discuté avec sept économistes de l'Indeed Hiring Lab, la division d'Indeed spécialisée en recherche économique qui effectue le suivi et l'analyse de millions de points de données recueillis sur l'ensemble du site d'Indeed, incluant les offres d'emploi, les CV et le comportement des utilisateurs, afin d'étudier les tendances du marché mondial de l'emploi.
Ils ont décomposé les facteurs économiques qui ont une incidence sur la probabilité de démission des travailleurs. Il s'avère que la démission par vengeance n'est pas un réel problème, mais que l'insatisfaction des employés l'est. Glassdoor indique que 65 % des employés aux États-Unis se sentent coincés* dans leur poste actuel. Un sondage Gallup à l'échelle mondiale a constaté que 62 % des employés partout dans le monde sont désintéressés* par leur travail. Sans intervention, l'insatisfaction amoindrit la productivité, même si elle ne favorise pas le roulement du personnel.
Les économistes de l'Indeed Hiring Lab des principaux marchés de l'emploi partout dans le monde font part de leur point de vue sur la démission, le sentiment des employés et ce que les employeurs peuvent faire pour conserver l'intérêt des travailleurs.
Aux États-Unis : N'ayez pas peur du taux de démissions
Cory Stahle, économiste de l'Indeed Hiring Lab et spécialiste du marché de l'emploi aux États-Unis
Lorsque je vois les prédictions sur les « démissions par vengeance », je demande si les travailleurs sont insatisfaits de leur employeur ou s'ils sont frustrés par un marché de l'emploi beaucoup plus instable qu'il ne l'était à l'apogée de la pandémie. De nombreux travailleurs sont habitués à changer d'emploi environ tous les trois à cinq ans. S'ils sont prêts à changer de poste et que les occasions ne se présentent pas, ils se sentent coincés.
Cependant, l'instabilité du marché de l'emploi est généralement une des raisons pour lesquelles les gens ne démissionnent pas. Les employeurs embauchent à un taux parmi les plus bas que nous avons constaté dans la dernière décennie, ce qui pèse sur la confiance des travailleurs.
Le taux de départs, c'est-à-dire le nombre de personnes qui laissent leur emploi volontairement chaque mois, est un indicateur de la confiance des travailleurs dans le marché de l'emploi, lequel diminue depuis quelques années. Il est peu probable que le taux de départs bondisse de sitôt, mais il vient de commencer à se stabiliser en même temps que le marché de l'emploi. Cela signifie un plus grand roulement du personnel, mais sachez qu'un bon taux de départs est positif pour l'économie et le marché de l'emploi, ce sont donc de bonnes nouvelles et non d'un danger.
Au Canada : Il s'agit d'un marché d'employeur, mais le bien-être des employés est toujours fondamental
Brendon Bernard, économiste de l'Indeed Hiring Lab et spécialiste du marché de l'emploi au Canada
Tout indique que le nombre de personnes qui démissionnent de leur poste au Canada est très bas et va probablement demeurer ainsi. La demande de la part des employeurs s'est calmée et l'incertitude en matière de commerce et des tarifs américains rendent les chercheurs d'emploi plus prudents. La part de travailleurs qui changent d'employeurs d'un mois à l'autre est bien inférieure à ce que nous voyons généralement.
Au même moment, la croissance de la population a été très rapide au cours des deux dernières années, fondée entièrement sur la migration en provenance de l'étranger, surtout les étudiants étrangers et les travailleurs temporaires. La croissance de la population commencera sûrement à ralentir, mais pour le moment, les chercheurs d'emploi sont de plus en plus nombreux et les occasions d'emploi sont plus rares, ce qui crée une congestion du marché de l'emploi. Il est de plus en plus difficile de dénicher un premier emploi. Ainsi, nous voyons une plus grande part de notre jeunesse qui n'a jamais eu d'emploi auparavant. De plus, les gens qui n'ont plus d'emploi ont besoin de plus de temps pour en trouver un autre.
Il ne s'agit pas d'un marché de chercheurs d'emploi, mais il est risqué de négliger de se concentrer sur la satisfaction des employés. Un travailleur insatisfait est moins productif qu'un employé satisfait. Le bien-être au travail devrait toujours être une priorité, quel que soit l'état du cycle économique.
En Australie : Les occasions abondent, mais les gens ne changent pas d'emploi
Callam Pickering, économiste de l'Indeed Hiring Lab et spécialiste du marché de l'emploi en Australie
Le marché de l'emploi australien demeure relativement tendu selon les normes historiques. À la fin de 2024, les offres d'emploi d'Indeed en Australie étaient à environ 55 % au-dessus des niveaux d'avant la pandémie, ce qui est très élevé comparé aux autres pays anglophones. Il existe cependant une dynamique inhabituelle. Certaines offres d'emploi sont destinées aux gens qui recherchent de nouvelles occasions ou un meilleur salaire, mais nous ne voyons aucune réelle augmentation dans les changements d'emploi.
Pour plusieurs personnes, l'une des raisons est que l'économie et le marché de l'emploi sont probablement pires qu'ils ne le sont vraiment. En Australie, le produit intérieur brut par habitant a diminué au cours des sept derniers trimestres et c'est habituellement ce qui peut être associé à une grave récession, mais nous n'en avons eu aucune. Toutefois, il existe un grand déclin dans le pouvoir d'achat des revenus australiens. C'est pour cette raison que les gens se sentent plus pauvres et qu'ils sont plus prudents lorsque vient le temps de démissionner, en comparaison à ce qui peut être attendu quand autant d'emplois sont disponibles. Cela est regrettable, car en raison des pressions sur le coût de la vie, la recherche d'un emploi qui paie 10 % de plus serait très avantageuse.
Une approche attentionnée envers les avantages est une excellente façon pour les employeurs d'attirer et de fidéliser les talents dans ce marché concurrentiel. Un exemple clé est que plusieurs entreprises utilisent des politiques de congés parentaux pour attirer les travailleurs, surtout pour attirer les femmes vers des emplois plus traditionnellement masculins.
Au Japon : La mobilité est en augmentation en raison de la croissance des salaires et des changements culturels
Yusuke Aoki, économiste de l'Indeed Hiring Lab et spécialiste du marché de l'emploi au Japon
Pour la dernière décennie, le taux de départs a été assez bas, mais depuis 2022, il a augmenté de manière importante. Cette réalité illustre une augmentation dans la croissance de la rémunération, qui commence en 2022 pour la première fois depuis plusieurs années. Cela signifie que les travailleurs démissionnent pour rechercher des salaires plus élevés, mais la satisfaction des employés est aussi un facteur. Les jeunes gens veulent se sentir plus responsables de leur carrière que les générations précédentes et sont plus intéressés d'avoir un poste pour lequel ils sont passionnés. De nos jours, il est plus courant de voir des personnes dans la vingtaine et la trentaine changer d'emploi.
Le taux de départs est également en augmentation pour les gens dans la quarantaine, ce qui signifie que davantage d'occasions se présentent pour des postes de gestion et de direction. Ceci est probablement dû au fait que de nombreuses entreprises se concentrent sur l'expansion de leurs opérations et recherchent des candidats d'expérience qui peuvent fournir ces efforts.
La transparence salariale est obligatoire par la loi au Japon, et donc 97 % des offres d'emploi mentionnent les renseignements relatifs au salaire. Pour se démarquer, les entreprises divulguent maintenant les renseignements sur les augmentations de salaire potentielles à long terme et la probabilité qu'une personne dans ce poste soit promue.
Au Royaume-Uni : L'importance de la flexibilité stimule l'innovation
Jack Kennedy, économiste principal de l'Indeed Hiring Lab et spécialiste du marché de l'emploi au Royaume-Uni et en Irlande
Au Royaume-Uni, nos données tirées de l'index des offres d'emploi d'Indeed démontrent que les embauches se situent 15 % sous le seuil d'avant la pandémie, ce qui est inférieur à la plupart des autres marchés. De plus, les changements apportés aux politiques dans le budget du nouveau gouvernement exigent une hausse considérable des cotisations de sécurité sociale. Par conséquent, nous observerons probablement une réduction des embauches et une croissance de la rémunération plus faible, ce qui pourra amener à décourager les changements d'emplois.
Cependant, dans les catégories d'emplois en grande partie en personne et moins bien rémunérés, nous remarquons une forte croissance de la rémunération de plus de 7 %. La main-d'œuvre disponible pour ces postes est restreinte en raison des restrictions imposées par le Brexit sur les travailleurs migrants et une réduction de la participation de la main-d'œuvre à cause des taux croissants de maladies à long terme au Royaume-Uni.
Aux deux extrémités du marché de l'emploi, la flexibilité de pouvoir faire du télétravail est un outil puissant pour attirer et fidéliser les employés, de même qu'une occasion d'embaucher des talents provenant de concurrents qui souhaitent ardemment un retour au bureau. Nous voyons même des employeurs offrir de nouvelles formes de flexibilité, comme la semaine de travail de quatre jours. Il s'agit encore d'un créneau précis, mentionné uniquement dans 1 % des offres d'emploi au Royaume-Uni, mais curieusement, les professions qui sont le moins capables d'offrir le télétravail sont plus susceptibles d'offrir la flexibilité d'une semaine de travail de quatre jours.
En Allemagne : Démissionner ne fait pas partie de la culture
Virginia Sondergeld, économiste de l'Indeed Hiring Lab et spécialiste du marché de l'emploi en Allemagne
En allemand, il existe le mot eigengewächs, qui signifie « cultivé localement », comme pour une plante qui pousse dans votre maison. Cependant, ce mot est utilisé pour décrire une personne qui construit sa carrière dans une entreprise, comme un cadre dirigeant qui a commencé comme stagiaire. Du côté culturel, c'est très respecté et valorisé. Nous n'avons pas une culture de démission forte.
De plus, l'économie ne va pas très bien depuis les derniers trimestres et nous nous attendons à une croissance assez lente pour 2025. La demande de main-d'œuvre stagne ou est même en baisse pour certaines professions et les grands secteurs allemands, comme la fabrication automobile, ont connu des mises à pied. Les gens recherchent la stabilité et la conservation de leur emploi, et nous ne nous attendons pas à du changement en 2025, car les perspectives économiques demeurent mauvaises.
Toutefois, le fait que les employés cherchent à conserver leur emploi ne signifie pas qu'ils sont heureux. Comme le marché de l'emploi bouge très peu, il existe moins d'occasions de croissance et de promotion dans l'entreprise. De nombreux employés ont moins de chance d'obtenir un perfectionnement personnel et des occasions de développer de nouvelles compétences, comme le développement de compétences d'encadrement ou l'utilisation de l'IA dans leur travail. Les formations et le perfectionnement sont des occasions pour les employeurs de conserver la motivation et l'engagement de leurs travailleurs.
En France : La marque employeur, la responsabilité sociale et la gestion réfléchie font une différence
Alexandre Judes, économiste de l'Indeed Hiring Lab et spécialiste du marché de l'emploi en France
La démission par vengeance n'est pas vraiment une tendance en France. Le nombre de démissions demeure en adéquation avec les niveaux de chômage historiquement bas.
Cependant, la mobilité professionnelle est limitée pour certains travailleurs en raison de l'importance élevée des diplômes, ce qui crée des obstacles importants lors d'un changement de secteur. De plus, les secteurs peu spécialisés comme la restauration, les soins et l'assainissement souffrent de la perception négative du public, ce qui rend difficile pour les travailleurs de ces domaines de passer à des postes qui rémunèrent mieux. De nombreuses personnes évitent ces emplois, car ils offrent peu d'avancement professionnel, ce qui contribue aux pénuries de main-d'œuvre permanentes.
Pour les employeurs, l'augmentation des salaires représente un défi en raison de la croissance économique stagnante en France. Le produit intérieur brut devrait croître de seulement 1 % en 2025 et en 2026. De nombreuses entreprises se concentrent plutôt sur le renforcement de leur marque employeur et leur responsabilité sociale d'entreprise. Un autre élément important à améliorer est la qualité de la direction, surtout pour les styles de direction, la flexibilité du lieu de travail et le fait de laisser une plus grande autonomie aux employés en ce qui a trait à leur manière de travailler. L'amélioration de ces aspects pourrait favoriser la satisfaction et la productivité des employés.
À retenir : La démission par vengeance n'est probablement pas un facteur dans les marchés du travail à travers le monde, mais l'insatisfaction des employés demeure une source d'inquiétude. Afin de conserver la productivité et le moral à un niveau élevé dans cette période économique incertaine, les employeurs devraient écouter leur main-d'œuvre et trouver des moyens novateurs de s'attaquer aux causes de l'insatisfaction qui importent le plus dans leur région.
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